Intégralité
de l'article de Jérôme Soligny
pour Rock & Folk de Novembre 2002
“Et
Dieu reconnaîtra les chiens” : mort de Dominique Laboubée
“Mercredi 9 octobre 2002, 14 h 30 locales, Dominique Laboubée,
chanteur-guitariste des Dogs depuis 1973, est décédé d’un
cancer du poumon foudroyant au Umass hopital de Worcester, Massachussetts, alors
que le groupe effectuait une tournée américaine avec les Ballbusters.
C’est une légende du rock français, en même temps
qu’un homme sincère et intègre qui s’éteint.
C’est en 1973, à Rouen, que Dominique a fondé les Dogs,
mais ce n’est qu’au début des années 80 que le succès
arrive. Depuis, Dominique et les Dogs dans un style authentique et racé,
ont écrit quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de
la musique rock. En 2001, les Dogs ont enregistré un nouvel album et
une série de concerts, aux USA et en Europe de l’Est, devaient
en assurer la défense. C’est lors de la tournée américaine
que Dominique Laboubée a été hospitalisé et qu’il
devait décéder. Dominique avait 45 ans. Chienne de vie !”
C’est par e-mail, peu après les coups de fil matinaux des intimes,
que sont arrivées ces quelques lignes. Glaciales. Horribles. Si laides
qu’on a mal supporté de les lire, de devoir les prendre pour argent
comptant. Même la Dogs Connection qui les a transmises semblait ne pas
vouloir y croire. Dominique Laboubée, mort, parti. Sur scène.
La fin d’un rêve. La confirmation d’un mythe. Lui, l’irréductible,
le hérault du riff, incarnait dans toute sa grâce boisée
l’idée la plus pure du rock’n’roll héritée
de maîtres dont Iggy Pop est le dernier survivant. Cuir et amplis. Veste
bien coupée, cravate. Jabot chantilly... L’élégance
d’une Lespaul Junior, stylée et fatale. Dominique de Rouen, leader
des Dogs, tombé au champ d’honneur aux Amériques, la terre
promise, the land of make believe. Non, pas lui. Pas Dominique diaphane, Dominique
intouchable, Dominique immuable dans ses volutes grises, les Ray-Bans sculptées
au visage, gracieux comme un flamand sombre et généreux comme
une collection de vieux vinyles des Kinks, des Groovies ou des Dolls. Dominique
né le XXX 1957, fauché en plein revival rock alors que d’autres
chiens se mettent à aboyer furieusement un peu partout, se battent pour
un bout d’os, pissent loin des réverbères et souhaitent
à leur tour en découdre. Dominique contre vents et marées
qui depuis 1973 menait sa fière goélette sur les vagues et les
modes, en dépit des aléas inhérents à l’intensité
de son engagement, des médias récalcitrants et des radios qui
le banniront jusqu’au bout, comme d’autres, pour cause de chant
en anglais. L’année prochaine, ses Dogs auraient eu 30 ans.
“Vous êtes les meilleurs !”
Figure unique du rock français, Dominique Laboubée méritait
plus qu’un article où se bousculent les adjectifs élogieux,
les tirades empesées. Car sa réalité à lui, après
la musique qui l’animait, c’était les gens : ses musiciens
bien sûr, mais aussi sa bande, sa horde, son “gang” comme
le dit si bien Hugues de Portzamparc. Sans oublier tous les fans anonymes, renouvelés,
disséminés dans le monde entier, qui l’ont mené là
où il s’est arrêté. Tous ces gens qui lui devaient
tant également et qui, collés aux intimes puisque devenus intimes
dans la peine, ont rempli la Cathédrale de Rouen le 22 octobre dernier.
Pour parler de Dominique à qui nous rendons hommage ailleurs par deux
fois dans ce même numéro, Rock&Folk à recueilli les
témoignages de ceux qui voulaient s’exprimer à son sujet,
qu’ils soient musiciens, proches, compagnons de voyage ou simples fans.
A travers leur propos, c’est la saga d’un musicien extraordinaire
qui est racontée, d’un rocker d’airain dont l’image
restera à jamais gravée dans la grande Histoire du rock’n’roll
le plus noble, celui qu’il adorait et dont il était, à son
tour, devenu l’ardent ambassadeurs. Mais il est également question
ici de l’homme d’exception, ouvert, bon, toujours souriant et fin,
si fin…
Pour le Rock Press Club consacré David Bowie, en 2001, j’avais
suggéré à Philippe de demander aux Dogs d’interpréter
deux chansons de cet artiste auquel il n’avait jamais été
associé. “Pourquoi as-tu pensé à nous ?” m’avait-il
demandé, l’air de ne pas trop y croire, toujours reconnaissant
qu’on songe à lui. “Parce que vous êtes les meilleurs
!” avais-je décoché du tac au tac, sans même réfléchir.
“Venant de toi, du Havre, je prends ça pour un vrai compliment”
m’avait-il rétorqué en riant avant de foncer répéter
des versions de “Hang On To Yourself” et “Suffragette City”
dont ceux qui ont regardé l’émission parlent encore. Merci
Dominique. Pour ça et tout le reste.
Les témoignages :
Hugues Urvoy de Portzamparc (bassiste de 1976 à
1987) :
Début des années 70, à Rouen. Ici comme ailleurs, le rock
ne semble se partager qu’entre progressif et heavy metal. Dominique est
différent. On se croise à Mélodies Massacre, notre disquaire,
et il parle des Stooges, Kinks, T Rex, Gene Vincent et de son groupe, Dogs.
La première fois que je le vois jouer, c’est chez lui. Il nous
a invités, ma basse toute neuve et moi. Le son de sa Rickenbacker branchée
sur son petit ampli Fender me hante encore. Son aisance féline, sa manière
si peu conventionnelle, la magie de son jeu… la révélation
immédiate d’une autre voie inespérée dont il serait
le guide.
Dominique nous a tout appris, tout montré. Son exigence de visionnaire
nous a amenés à nous transcender et a fait de nous les acteurs
d’une aventure inconcevable sans lui. L’intensité de son
charisme, son élégance étaient celles des vrais leaders,
ceux qui nous emmènent plus haut, plus loin, ailleurs, et nous transforment
profondément. Il nous faisait partager son instinct de l’évidence
juste, son goût jusqu’à l’obsession de la perfection,
son amitié, nous étions devenus un gang.
Aujourd’hui, cela fait 30 ans que le rock est ma passion, Dominique reste
celui qui écrivait ces chansons si touchantes, capable aussi des fulgurances
électriques les plus brûlantes, de l’urgence qui faisait
battre les cœurs. “Live Fast Die Young”, il a si souvent écrit
cette maxime pour des fans qui lui réclamaient un autographe. Keith Richards
disait à propos de Brian Jones qu’il est des êtres que l’on
ne s’attend pas à retrouver fumant très vieux la pipe sous
leur véranda. Dominique était de ceux-là.
Max Lebreton (membre de la bande qui squattait
chez le disquaire Mélodies Massacre, roadie occasionnel, régisseur
bénévole puis “permanent guest”) :
J’ai rencontré Dominique la première fois à Mélodies
Massacre en 1976. C’était l’époque où on n’allait
pas la FNAC, on allait à Mélodies Massacre. Eric Tandy était
là bien sûr et me vendait un Ducks Deluxe. C’était
l’époque où l’on VENDAIT un disque. C’est un
peu plus tard que j’avais appris que ce dandy impeccable était
le leader des Dogs un groupe déjà légendaire et qui n’avait
pourtant encore rien enregistré. A l’époque, on était
tous des “Stooges”. Et puis, un par un, on a lâché
l’affaire. Sauf lui. Lui, il est resté. Fidèle à
ses convictions. Au rock’n’roll. Il était le rock’n’roll.
Et nous, on pouvait avoir bonne conscience. On pouvait continuer nos pauvres
carrières d’employés de banque puisqu’il était
là. Garçon “bien élevé” et authentique,
malgré les revers de fortune, les lâchages, la valse des modes
musicales, je ne l’ai jamais senti aigri… question de savoir vivre.
J’ai appris qu’il était parti, en plein set, aux USA, en
faisant jusqu’au bout ce qu’il aimait, ce qu’il avait choisi
très tôt. Il nous a beaucoup donné, j’espère
lui avoir rendu un peu par mon amitié et ma fidélité. Eternaly
Yours Dominique.
Jean-Marc Peltier (tour manager de 1978 à
1981) :
Le dîner de clôture du meeting n’en finit pas, il y a du bruit,
ça parle toutes les langues mais moi, je suis ailleurs, désemparé.
La veille, quand Eddy m’a appelé, j’ai tout de suite compris.
En fait depuis peu, je savais que la catastrophe était imminente. Je
l’avais déjà cru mort la nuit précédente et
je n’en avais pas dormi. De retour à l’hôtel, tard,
j’ai eu Christian sur le portable, puis finalement Catherine, sa sœur,
déjà sur place…
1974, Le Havre. Chez Crazy Little Thing, en face de mon lycée, Philippe
Garnier me prévient : “Ca va te plaire !” Ce concert des
Dogs à l’UCJG avec Mimi, Zox et Paulo, quelle claque ! Eric, mon
alter ego de chez Mélodies Massacre les avait annoncés, tout de
blanc vêtu, avec son outrance naturelle et j’ai succombé
instantanément. “Say Mama”, “LSD”, “Shaking
machine”, “(I Don’t Want) Your Loving Anymore”…
Quelle classe !
1975 : Rouen, la Fac… Mon studio nous sert souvent de repaire, voir de
garçonnière pour Dominique, le week end, quand je rentre au Havre.
Mais en fait, nous sommes le plus souvent chez Eric, à écouter
jusqu’à pas d’heure, le pirate de Dylan et The Band au Royal
Albert hall en 1966. “You’re A Liar” disait-il ; Dominique,
lui, n’a jamais menti à son public.
1977 : Le Havre, Rock city. Avec Yves Guillemot et le père de Philippe,
nous organisons tant de concerts : Eddie & the Hot Rods, Feelgood, Flamin’
Groovies, Talking Heads et les Ramones, Little Bob Story, bien sûr !
Suite à cela, la scène havraise débordera de talents et
les Dogs joueront souvent, supportant tous ces petits groupes locaux tel que
OX, Vinyl Street, Teenage riot et autres mini légendes. Dominique a toujours
tout fait pour aider cette génération spontanée qu’il
avait, en fait, engendrée, avec Bob.
1978 : Les premiers vinyles. Le succès commence à dépasser
les frontières de la Normandie. La cave des parents de Dominique tremble
tous les jours au son des répétitions. Allez, on y va ! Je deviens
“route manager” et me mets à bosser pour monter les premières
tournées, et ça marche !
1979 : “French Rockmania”. Nous sommes au Palais des Sports, Mimi
a ses gants ! En coulisse, outre Jacky, notre coach chez Phonogram, pas encore
acolyte d’Antoine de Caunes, ni membre du Dorothée club, il y a
Johnny, Depardieu, Jane Birkin et Gainsbourg, rappel prévu avec Bijou
oblige. Hugues, lors du cocktail, demandera au beau Serge : “Qu’est-ce
que cela faisait de porter l’étoile jaune ?”. Patinoire d’Orléans,
dans quel ordre allons nous jouer ? Elie et Jacno ne sont pas trop pressés,
La Souris si, au point de prendre la scène d’assaut. Nous, on s’en
fout un peu et finalement les Dogs clôtureront le festival en jouant à
5 heures du mat’, devant une salle à moitié vide : un triomphe.
Festival d’Orange, théâtre antique. Les Dogs montent sur
scène, quelques cannettes pleuvent aussitôt ramassées par
Dominique et Hughes pour retour à l’envoyeur ! King Kong trône
sur la grosse caisse de Mimi et le set est grandiose !
Et nous tournons. Partout, Dogs fait salles combles : Annecy, Montélimar,
Saumur (ou la sono est tellement pourrie qu’ils foutent tout le matos
en l’air, au bout de cinq morceaux, j’en pleure encore), Grenoble,
Moulins, Mont de Marsan, Marseille, Toulouse… Bien souvent, nous faisons
500 kilomètres par jour, mais l’ambiance est géniale.
1980 : réunion d’état major un soir à Rouen, à
la veille d’une autre tournée après avoir dégusté
une bonne quiche faite maison par Mme Laboubée. Dominique : “Au
fait, demain, on emmène Gilles”. “Gilles !!??” Le chanteur
des Olivensteins est un garçon adorable, mais en tournée, pour
foutre le bazar, il n’a pas son pareil. En tant que garde chiourme du
chenil, j’angoisse un peu. Les patrons d’hôtels furibards
au petit déjeuner, ça va un temps ! Je me souviens comment nous
nous sommes enfuis d’un village de la campagne toulousaine, près
du Pied sous la sirène d’alarme et le Tocsin. Ceci dit, tous les
soirs, en rappel, “Je suis fier…”, ça le valait bien.
Antoine de Dijon, commence à montrer son nez.C’était le
genre de mec à faire l’école buissonnière, partir
en stop à 400 bornes de chez lui, voir plus, pour venir voir ses idoles
! Finalement il montera dans le mini bus, puis sur scène et deviendra
le nouveau quatrième Dogs.
1981 : Philips nous virent, faute de subsides, je décroche pour le maritime
mais les Dogs continuent de plus belle. Durant 20 ans, on se retrouvera régulièrement
pour évoquer tous ces souvenirs héroïques, toujours avec
le même plaisir
11 octobre 2002 : retour à la maison. Le Havre Presse a donné
l’info en première page ! “Papa, tu es triste pour ton copain
?” me demande ma fille “Triste ? !”
“Dominique, tu te souviens de ce canard de Besançon qui avait titré,
le lendemain du concert : ‘ET DIEU RECONNAÎTRA LES CHIENS !’
Nous en rions encore, n’est-ce pas, Dominique ! Dominique… DOMINIQUE
!?”
Little Bob :
J’ai rencontré Dominique Laboubée lors du premier Rock’n’Roll
Christmas au Havre, en décembre 1975. Lui et les Dogs avaient déjà,
malgré leur jeunesse ou grâce à elle, un look élégant
et racé (comme leur musique !), entre Kinks et Groovies, mais avec le
côté destroy des Dolls aussi. On était tous les deux de
la même région. Notre musique de l’époque, et pendant
toute la vie de la Story, était plus violente et speed, influencée
par la musique rock black. Mais nos deux groupes ont toujours dégagé
un maximum de high energy et sillonné la France et l’Europe comme
très peu d’autres groupes français l’ont fait depuis.
Chaque sortie d’album des Dogs m’a rendu heureux. Je savais que
Dominique était toujours pour défendre et s’éclater
avec cette musique que tout le monde a déclaré moribonde tant
de fois.
Invité à mon 20ème anniversaire de scène (en 1995
au Havre), il était venu et j’étais heureux de l’avoir
à mes côtés. On s’est souvent rencontrés dans
les festivals, concerts ou des fois on jammait ensemble. Maintenant il n’est
plus là. La coupure est trop brutale. Le manque va faire, et fait déjà
mal. Il aura toujours une place dans mes pensées.
Adieu petit frère, tu étais une LEGENDE du rock en France. J’espère
seulement qu’un de tes émules que tu as un peu partout, va reprendre
ton flambeau et défendre, avec la même classe que toi la musique
qu’on aime tous les deux.
Charles (fan) :
La première fois que j’ai vu les Dogs c’était en 1974
ou 1975 en première partie d’Higelin au Havre. Ensuite je les ai
peut-être vus 30 ou 40 fois. La dernière fois, c’était
en novembre 2001, à l’occasion de l’enregistrement du live
à Rouen avec une mémorable reprise du “I Wanna Be Your Dog”
de Mr Pop. J’ai acheté tous leurs albums même si je pense
que les trois premiers étaient vraiment superbe.
On a tout connu des émotions du rock avec eux, re-découvreurs
de pépites, acharnés, toujours décalés. Viscéralement
attachés à nos vingt ans.
On les a suivis de l’Exo 7, la salle Franklin… C’était
parfois pathétique, suivant en cela le sillage des Flaming Groovies.
Car les Dogs, c’était un putain de groupe de scène jamais
hyper parfait mais gagnant toujours son public à l’arraché.
Replié sur ses terres rouennaises ces dernières années,
on sentait Dominique de plus en plus radical dans son attitude et pour nous
qui n’avions pas eu le courage d’aller jusqu’au bout des rêves
de nos vingt ans, il apparaissait comme un mec courageux qui avait su devenir
un artiste avec une épaisseur de plus en plus flagrante. Quelqu’un
qui laisse une œuvre derrière lui. Grâce au Dogs, on a côtoyé
les Fleshtones, les Barracudas, les Real Kids. Il faut se souvenir de Dominique
Laboubée comme du chef de file de tous les agités qui traînaient
à Rouen à cette époque, les haricots sauteurs. Il avait
des goûts sûrs dans ses amitiés musicales : les Olivensteins,
les Gloires Locales et tous les obscurs qu’il a soutenus.
Voilà, deux ou trois mots en sortant de la Cathédrale de Rouen
sur ce type qui avait un don indiscutable pour la mélodie depuis “Charlie
Was A Good Boy” en 1977. Ce gars avait de la classe.
Antoine Lelandais (voisin, fan et ami) :
Je n’ai eu que rarement l’occasion de rencontrer des personnes telles
que Dominique. Il personnifiait le rock français pardon, il le personnifie
encore et pour longtemps), le vrai, sans concession commerciale, sans malentendu,
ne sombrant jamais sans la facilité : c’est dire le pur et savant
mélange d’une musique anglo-saxonne et d’une culture française.
Ce respect envers cette forme de musique lui a certainement coûté
une reconnaissance médiatique plus en rapport avec son talent, mais lui
permettait de vivre sa passion dignement. Ses concerts étaient remplis
à craquer de connaisseurs qui le suivaient dans son évolution.
Mon premier contact avec Dominique fut sonore. Habitant en face de chez lui,
j’entendais le groupe jouer dans la cave de sa maison (essentiellement
la batterie et la basse, à dire vrai). Puis les souvenirs des départs
en tournée (française et étrangère), avec les musiciens
et des proches mettant le matos dans des camions.
Ont suivi les premiers contacts verbaux allant plus loin qu’un simple
bonjour. Puis les conseils dans l’achat d’une première guitare,
et finalement l’acquisition d’une de ses vieilles. Dominique m’avait
accompagné moi et un petit groupe de copains jouant dans le garage, dans
nos premiers pas musicaux, en nous donnant des conseils, en nous prêtant
du matériel, en étant toujours disponible pour nous répondre.
C’était un véritable régal de discuter musique (ou
d’autres sujets d’ailleurs) avec lui, le soir, dans la rue, au hasard
d’une rencontre. L’écouter parler de ses tournées,
des séances d’enregistrement, etc.
On dit souvent que la vie est injuste, que ce ne sont pas ceux qui devraient
qui partent ; c’est une phrase à la con inutile, malheureusement
encore vérifiée. Mais le rock est coutumier du fait. Heureusement,
la musique reste et avec elle l’image de
Dominique comme une personne bien, ouverte, honnête, et ayant toujours
le sourire même dans les moments difficiles. Too much class.
Philippe “Jo de Krume” Loison (troisième
bassiste des Dogs entre Hugues de Portzamparc et Christian Rosset ) :
Ma connexion avec Dominique s’est faite par Paul Péchenard et Zox,
qui sont membres de mon propre groupe, The Outlines, depuis 1985. Dominique
avait demandé à Zox de remplacer Hughes, Zox avait refusé
et m’avait proposé la place, ce qui était amusant car je
suis guitariste et n’avais jamais joué de basse. Jouer dans les
Dogs fut une expérience inoubliable,
surtout de jouer les sidemen avec Paul derrière Dominique, alors que
j’étais toujours sur le devant de la scène avec The Outlines,
et de découvrir le succès démentiel du groupe à
l’étranger. Quand Epic les a lâchés, on remplissait
le Ritz de Stockholm de fans en délire ! La fin de cette tournée
fut une mauvaise période pour Dominique, qui ne savait pas s’il
devait se remettre en question, chanter en français, avec la poudre et
son entourage rouennais pour mauvais conseillers. Il
a dormi chez moi en banlieue parisienne et nous avons réalisé
ensemble des maquettes dans mon studio, mais il ne savait pas trop où
aller musicalement et il vaut mieux oublier ses tentatives de l’époque
qui n’ajoutent rien de sensé à son histoire. Il a finalement
rompu sans élégance avec Paul et moi et s’est replié
sur Rouen.
Je garde de lui le souvenir d’un garçon qui avait une classe instinctive,
une rock star racée, un type qui sur scène faisait aimer le rock
: ses apparitions scéniques ont sans doute donné la foi des dizaines
de groupes en Europe. Je crains que la mort de Dominique n’enterre définitivement
le rock français chanté en anglais dans ce pays. Dominique pouvait,
comme Little Bob le peut encore, subsister sur l’écho médiatique
de ses années sous contrat avec les majors, alors que la vague indé
dont nous avons fait partie est définitivement passée aux oubliettes
depuis la fin des New Rose et Danceteria (notre 4e album produit en 2000 n’a
jamais été distribué). Les silhouettes du rock français
sont de plus en plus vagues… et leur souvenir de plus en plus flou.
Bruno Perrin (ex-Gunners, dernier tourneur des
Dogs) :
J’ai toujours été fan des DOGS, j’ai eu le plaisir
de partager des scènes avec eux dans les années 90 quand je jouais
dans les Gunners, et l’honneur de rencontrer Dominique par le biais de
Laurent (guitare). Les Dogs m’ont demandé si ça m’intéresserait
de travailler avec eux. Bien sûr, même si ça me faisait quand
même un peu peur d’avoir sur les épaules un nom aussi mythique
que celui-là. J’ai été sidéré d’apprendre
le nombre de galères et d’arnaques auxquelles le groupe pu être
confronté tout au long de sa carrière. Mais la foi dans le rock’n’roll
était toujours intacte et tout le monde super motivé pour continuer
à jouer (Les Dogs n’ont jamais attendu le “retour du rock’n’Roll”
pour continuer à en faire !). Cette tournée s’est passée
à merveille, en particulier pour les dates espagnoles dont le public
était chaque fois comme ébloui (les yeux
écarquillés et le sourire béat) de se trouver devant une
scène sur laquelle Dominique et les Dogs évoluaient à la
perfection et avec une incroyable énergie. Sur toute cette tournée,
un vrai public de connaisseurs et de fans était fidèle au poste.
La tournée aux States a été montée par Jeff Crane,
guitariste des Ballbusters de Boston. En ce qui concerne Dominique, j’ai
été surpris et ému par sa sincérité et son
extrême gentillesse. Jamais sûr de lui, toujours vouloir faire mieux.
Une politesse et une éducation exemplaire (d’où sûrement,
son surnom de “Dandy du Rock’n’Roll”). Il n’aurait
fait ni dit de mal de personne, ce qui est troublant quand on sait le nombre
de sales plans et d’abandons dont il a été victime !
Sa vie, c’était les Dogs, qu’il n’a jamais voulu dissoudre.
Presque 30 ans de Dogs, jusqu’à la fin.
Un groupe énorme vient de disparaître avec Dominique Laboubée.
Quoi qu’il en soit, le mythe continuera.
Adieu Dominique, tu ne seras jamais plus “THE MOST FORGOTTEN FRENCH BOY”.
Jean Gamet (Hacienda Records, producteur des trois
derniers Albums (“4 Of a Kind”, “A Different Kind”,
“Short Fast and Tight”) :
J’ai tout d’abord une pensée pour le Groupe (Laurent, Bruno
et Christian) et pour toute sa famille, car je crois que nous formions vraiment
une famille, ce qui est assez rare dans ce métier pour être signalé.
Pour moi, la mort de Dominique c’est un peu de cette musique qui m’a
accompagnée jusqu’à ce jour, qui s’en va. Parler de
son intégrité, de sa gentillesse, allant même jusqu’à
la discrétion bien sûr, mais il y avait surtout entre nous ces
deux notions qui restent essentielles dans ce métier : confiance et respect.
Il savait que je produirais son prochain album pour continuer The Story Of The
Dogs. Eh bien cette histoire continuera dans notre cœur. A bientôt
Dominique.
Christian & Guy (Dogs Connection. Association,
support des Dogs et gestion du site Internet )
Fans inconditionnels et plus tout jeunes, des Dogs, nous rêvions depuis
longtemps, sans jamais oser franchir le pas, d’une brève rencontre
avec Dominique et ses Chiens. Armés de tout notre courage et fortement
intimidés, nous avons pu concrétiser ce rêve lors d’un
concert, il y a de cela 3 ans. Déjà comblés d’avoir
pu les approcher, nous étions loin de nous douter que cette rencontre
serait le début d’une collaboration et surtout d’une amitié.
La création de la Dogs Connection nous a permis de partager les dernières
années de la vie du groupe, et de rendre à Dominique, une infime
partie de tout ce qu’il nous a donné depuis 20 ans. A cette occasion,
nous avons découvert, en plus de ce que tout fan savait déjà,
un être humain discret, sensible et généreux.
Avec Dominique, le rock perd bien sûr un très grand musicien et
l’un des derniers de cette génération à affirmer,
loin des modes, que le rock’n’roll est toujours vivant. Cependant,
cette idée que nous nous faisons de la vie et du rock’n’roll
et qu’il incarnait si bien, ne disparaîtra pas avec lui. Il faisait
partie de notre vie et nous ne sommes pas près de l’oublier. So
long, Dominique.
Carole Bigaud et René Simon (fans) :
Je suis née Rouen, et Dogs ont très vite représenté
pour moi la référence en matière de Rock.
Dominique était la star de la ville et j’étais une fan.
Il y a 7 ans, j’ai quitté Rouen pour m’installer Paris et
j’ai gardé mon affection pour le groupe et son leader.
Affection partagée par mon compagnon, lui-même fan et pote.
Nous attendions de les revoir sur scène Paris, et nous réjouissions
de voir que les tournées s’enchaînaient.
Dominique est parti trop tôt, il nous manquera… We’ll never
forget.
Tuno (bassiste de SSH!, directeur artistique du
festival Rockamagus) :
A Rouen, tout le monde connaissait Dominique sans le connaître, mais c’était
un personnage que l’on croisait dans la rue, et qui ne passait pas inaperçu
avec son look très rock’n’roll (lunettes noires, jean cigarette
et bottes de cuir pointues). On pouvait alors penser qu’il aimait se montrer
dans sa marginalité. Une sorte de vanité. Ce que j’ai cru
pendant de longues années. Mais il était tout simplement dans
son monde. Celui du rock’n’roll pur et dur. Et puis, moi-même
musicien et responsable d’un festival rock, je l’ai rencontré.
Nous avons passé deux heures la terrasse d’un café, et j’ai
découvert un homme sensible, intelligent, éclairé, humble,
léger, souriant, ouvert… loin de mes préjugés.
Je suis très triste qu’il soit parti si tôt, mais heureux
que ce soit sur scène que la maladie l’ait emporté. Aux
States de surcroît.
Guillaume et Magali Huberson (fans) :
Je tire mon chapeau a ce groupe qui a beaucoup influencé mes tendances
musicales même si depuis 10 ans je ne suivais plus du tout ce qu’il
faisait. Dans ma tête, les Dogs resteront toujours un des groupes rock
français les meilleurs, que ce soit sur disque ou en concert.
Je m’appelle Magali, j ai 31 ans et les Dogs ont beaucoup compté
pour moi. Je regrette que ce soit la fin. Je ne connais pas les 3 derniers albums
mais ce groupe reste pour moi un des meilleurs.
Gilles Perrotte (fan) :
Ah bien sûr, si Eddy Mitchell était décédé
ce maudit 9 octobre 2002, sans doute aurions-nous eu droit a des titres comme
“LE ROCK EST EN DEUIL” dans tous les journaux, sur 3 colonnes à
la une ! Quelle dérision… ! Je ne souhaite évidemment aucun
mal à Claude Moine, surtout pas une agonie de 10 jours, mais l’indifférence
quasi générale (merci tout de même a Yves Bigot dans Liberation)
qui a caractérisé la disparition de Dominique m’a profondément
désolé.
A l’instar des Ramones, les Dogs auront sorti 4 premiers albums incontournables
et indispensables pour bon nombre d’entre nous. Pleins de classe, de rage,
de poésie, de références, de guitares et d’esprit…
J’ai eu la chance de revoir les Dogs 3 fois ces 2 dernières années
: j’avais oublie ce qu’étaient ces décharges d’adrénaline
a l’écoute des intros de “A Different Me” ou “Too
Much Class For The Neighbourhood”… J’ai pris plus de plaisir
en un seul concert qu’en 7 ou 8 Routes du Rock à Saint-Malo…
Je le savais mais certaines piqûres de rappel sont bien souvent utiles
: le plaisir n’a rien à voir avec la mode ! “Sing A song
For Me When I Die” : je ne fais que ca Dominique depuis ton
départ, trop brutal. 45 ans, c’est trop jeune ! Tu n’avais
pas changé d’un iota. Dominique Laboubée fut le meilleur
auteur-compositeur, chanteur-guitariste de l’hexagone dans son domaine,
mais trop puriste il préférera l’anglais au français
et se coupera du grand public, se privera de l’hommage posthume de PPDA.
Alors que les Dogs pouvaient espérer surfer sur la vague du “rock
revival” et se débarrasser de cette (parfois vraie mais ici fausse)
image d’has-been qui colle malheureusement à tout groupe qui ose
durer plus de 10 ans, les voilà écrasés au coin d’une
rue de Boston par une Chevrolet noire, guidée par ce fameux destin qui
engendre la souffrance mais crée également les légendes…
Il faut se consoler et savoir Dominique heureux là-haut, avec les plus
grands, reprenant "Sugar Shaker" avec Lee Brilleaux au Paradis du
Rock, le vrai !... Les dinosaures et autres bouffons du "rock" peuvent
bien aller mourir au cimetière des beaufs et des éléphants…
Sylvain Coumoul (fan et journaliste) :
...Le mardi 22 octobre 2002, en la cathédrale de Monet bondée
comme le Gibus en plus grand, “Secrets” a retenti. S’avançant
vers le cercueil près duquel le prêtre se livrait au rite de l’encens,
un type sapé tel le Captain Beefheart a fondu en larmes. Et moi donc.
Oui, le Gibus, vers 1990, j’y étais, premier concert, presque dix
ans de fantasmes et je le voyais enfin en vrai. Pourtant à moins d’un
mètre, Dominique continuait de me sembler irréel : il articulait
le you and me de “Secrets” et je n’entendais rien que la sono
pourrie, les amplis saturés, la voix devenue simple écho dans
le paysage, fragment arc-en-ciel fugacement apparu à la surface d’une
flaque d’huile. Mais il y avait le secret. Je vous le donne, je le tiens
de lui : 1) Faire comme si vous réfléchissiez avant de plaquer
un accord pourtant préparé depuis l’éternité.
2) Poser sur le monde l’un de ces regards obliques que nous impose l’architecture
de Venise. Oblique comme Dylan caché dans l’angle, et qui observe.
Avec en plus chez Laboubée une douceur telle qu’à cette
acuité revendiquée, surjouée, mise en scène, bref
à ce dandysme se mêlait la pudeur d’un homme trop intelligent
pour oublier d’être gentil.
En 1994, j’emménage à Rouen, et ça n’a pas
loupé : le jour même il était là, rue de la République,
dans l’encadrement de la porte ouverte d’un bar. Ses lunettes noires
dirigées vers le ciel normand traversé de reflets gris-bleus après
la pluie scrutaient le halo plus clair, en direction du Havre, qui signale la
présence de la mer. Il fumait comme toujours je le verrais fumer par
la suite : les volutes de la cigarette qui s’étiraient longuement
depuis la main immobile posée sur le jean noir serrant ses jambes de
cigogne. Pas un concert rouennais sans qu’il ne fût présent,
montant sur scène à l’occasion ; un soir qu’un petit
groupe étudiant reprenait une version rock de “Tainted love”,
beaucoup plus félin que canin, il avait gagné son côté
préféré, le gauche, et livré quelques accords beaux
comme le halo en direction du Havre, l’air toujours de penser chacun,
l’air en même temps de ne pas y toucher. En 1997 enfin, profitant
d’un exercice pour mes études de journalisme, je sollicitai un
entretien. Conscient que ses propos ne finiraient jamais dans un magazine, il
accepta pourtant avec gentillesse, comme un service à rendre. En termes
professionnels, ce fut la plus mauvaise interview de ma “carrière”.
Tentais-je avec maladresse de le faire parler des Buzzcocks qu’il ne me
fallait rien espérer de plus qu’un sourire : “Ah oui, bonnes
chansons les Buzzcocks !”. J’ai d’abord cru que Dominique
Laboubée n’avait rien à dire ; j’ai compris plus tard
qu’il n’avait rien à vendre… Je lui avais prêté
“Juvenilia” des Verlaines, qu’il ne connaissait pas ; nous
devions nous revoir afin qu’il me le rende. La seconde rencontre eut lieu
chez sa maman à Mont Saint-Aignan, sur les hauteurs de Rouen, où
une rupture l’avait ramené pour quelques semaines, le temps de
se refaire et repartir à l’assaut de sa ville. Avant de grimper
vers la belle demeure, je le revois stopper en double-file face à la
gare où il était venu me chercher, et, courant pour ne pas me
faire attendre, ramener deux canettes d’Heineken que le temps nuageux
ne justifiait pas. Mais c’était oublier sa délicatesse :
les deux canettes étaient pour lui. J’ai vu le sous-sol d’où
la légende était partie. J’ai surtout vu, à l’étage,
sa chambre inchangée depuis l’adolescence, avec, pendu au mur,
un bout de collier à demi arraché. “C’est celui de
Johnny Thunders” a-t-il frissonné, “enfin, la moitié,
car lorsque Thunders l’a balancé dans la fosse, à la fin
d’un concert, j’en ai attrapé un bout, un autre gars, l’autre
bout, j’ai tiré, il a tiré, et voilà. C’est
un peu bête.” Ce jour-là je suis reparti avec le 45 tours
dédicacé de “M.A.U.R.E.E.N.” et bien entendu, sans
“Juvenilia”. Je ne m’étais pas senti le cœur de
le lui reprendre car vous comprenez, “Bonnes chansons, les Verlaines !”.
C’est tout. C’est peu. Cinq ans, je suis resté absent de
Rouen. Et puis il y a quelques semaines, je l’ai croisé, cigarette
aux lèvres, la fumée passant sous les dark shades, chez un libraire
du centre ville qui n’a même pas songé à le lui reprocher.
Il tournait un peu sur lui-même, l’air de chercher sa monnaie et
la caisse où payer. Aérien. Je suis resté noué.
Il ne m’avait pas vu. Il me semblait encore plus amaigri. Ma vieille timidité
revenue, je ne lui ai pas pris le bras, je ne lui ai pas dit merci pour ce que
je lui devais. Aujourd’hui je pleure Dominique. Rideau. Secrets.
Pascale “Louise” Féron (amie
et chanteuse. Dominique a composé les chansons de son premier album produit
par John Cale et paru en 1991, parmi lesquelles le tube “Tombé
Sous Le Charme”) :
Tu étais de ces êtres dont la soif de pureté ne peut que
se heurter de manière douloureuse à la réalité de
ce monde de petits arrangements et de trahisons intimes. Ta pureté te
conférait une sorte d’absence, celle qui caractérise les
êtres qui ne sont ni tout à fait d’ici, ni tout à
fait d’ailleurs. Ton passage fut celui d’une étoile filante,
ton rêve d’absolu, une tension vers l’inaccessible. Ton amour
même était de ces amours un peu désincarnés où
le corps s’efface. Tu voulais que le temps s’y arrête, tu
nous voulais à l’abri des faiblesses et des fléchissements
de la chair, à l’abri de l’usure. La musique fut ta tour
d’ivoire, ton Graal, ton tourment, ton amante religieuse. En la mêlant
à mes mots, tu m’as offert la plus intime des étreintes…
Tu ne voulais vivre qu’au cœur des fulgurances et ce fut ton souhait
de t’y consumer. Aujourd’hui, je laisse ta lumière descendre
très doucement en moi. Je sais que tu veilles… Love shadow, you’ll
be walking in my dreams.
RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY
Merci à Catherine Laboubée, à tous les intervenants et
à Roger Legrand.