Intégralité de l'article de Jérôme Soligny
pour Rock & Folk de Novembre 2002

“Et Dieu reconnaîtra les chiens” : mort de Dominique Laboubée

“Mercredi 9 octobre 2002, 14 h 30 locales, Dominique Laboubée, chanteur-guitariste des Dogs depuis 1973, est décédé d’un cancer du poumon foudroyant au Umass hopital de Worcester, Massachussetts, alors que le groupe effectuait une tournée américaine avec les Ballbusters. C’est une légende du rock français, en même temps qu’un homme sincère et intègre qui s’éteint. C’est en 1973, à Rouen, que Dominique a fondé les Dogs, mais ce n’est qu’au début des années 80 que le succès arrive. Depuis, Dominique et les Dogs dans un style authentique et racé, ont écrit quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de la musique rock. En 2001, les Dogs ont enregistré un nouvel album et une série de concerts, aux USA et en Europe de l’Est, devaient en assurer la défense. C’est lors de la tournée américaine que Dominique Laboubée a été hospitalisé et qu’il devait décéder. Dominique avait 45 ans. Chienne de vie !”


C’est par e-mail, peu après les coups de fil matinaux des intimes, que sont arrivées ces quelques lignes. Glaciales. Horribles. Si laides qu’on a mal supporté de les lire, de devoir les prendre pour argent comptant. Même la Dogs Connection qui les a transmises semblait ne pas vouloir y croire. Dominique Laboubée, mort, parti. Sur scène. La fin d’un rêve. La confirmation d’un mythe. Lui, l’irréductible, le hérault du riff, incarnait dans toute sa grâce boisée l’idée la plus pure du rock’n’roll héritée de maîtres dont Iggy Pop est le dernier survivant. Cuir et amplis. Veste bien coupée, cravate. Jabot chantilly... L’élégance d’une Lespaul Junior, stylée et fatale. Dominique de Rouen, leader des Dogs, tombé au champ d’honneur aux Amériques, la terre promise, the land of make believe. Non, pas lui. Pas Dominique diaphane, Dominique intouchable, Dominique immuable dans ses volutes grises, les Ray-Bans sculptées au visage, gracieux comme un flamand sombre et généreux comme une collection de vieux vinyles des Kinks, des Groovies ou des Dolls. Dominique né le XXX 1957, fauché en plein revival rock alors que d’autres chiens se mettent à aboyer furieusement un peu partout, se battent pour un bout d’os, pissent loin des réverbères et souhaitent à leur tour en découdre. Dominique contre vents et marées qui depuis 1973 menait sa fière goélette sur les vagues et les modes, en dépit des aléas inhérents à l’intensité de son engagement, des médias récalcitrants et des radios qui le banniront jusqu’au bout, comme d’autres, pour cause de chant en anglais. L’année prochaine, ses Dogs auraient eu 30 ans.

“Vous êtes les meilleurs !”

Figure unique du rock français, Dominique Laboubée méritait plus qu’un article où se bousculent les adjectifs élogieux, les tirades empesées. Car sa réalité à lui, après la musique qui l’animait, c’était les gens : ses musiciens bien sûr, mais aussi sa bande, sa horde, son “gang” comme le dit si bien Hugues de Portzamparc. Sans oublier tous les fans anonymes, renouvelés, disséminés dans le monde entier, qui l’ont mené là où il s’est arrêté. Tous ces gens qui lui devaient tant également et qui, collés aux intimes puisque devenus intimes dans la peine, ont rempli la Cathédrale de Rouen le 22 octobre dernier. Pour parler de Dominique à qui nous rendons hommage ailleurs par deux fois dans ce même numéro, Rock&Folk à recueilli les témoignages de ceux qui voulaient s’exprimer à son sujet, qu’ils soient musiciens, proches, compagnons de voyage ou simples fans. A travers leur propos, c’est la saga d’un musicien extraordinaire qui est racontée, d’un rocker d’airain dont l’image restera à jamais gravée dans la grande Histoire du rock’n’roll le plus noble, celui qu’il adorait et dont il était, à son tour, devenu l’ardent ambassadeurs. Mais il est également question ici de l’homme d’exception, ouvert, bon, toujours souriant et fin, si fin…
Pour le Rock Press Club consacré David Bowie, en 2001, j’avais suggéré à Philippe de demander aux Dogs d’interpréter deux chansons de cet artiste auquel il n’avait jamais été associé. “Pourquoi as-tu pensé à nous ?” m’avait-il demandé, l’air de ne pas trop y croire, toujours reconnaissant qu’on songe à lui. “Parce que vous êtes les meilleurs !” avais-je décoché du tac au tac, sans même réfléchir. “Venant de toi, du Havre, je prends ça pour un vrai compliment” m’avait-il rétorqué en riant avant de foncer répéter des versions de “Hang On To Yourself” et “Suffragette City” dont ceux qui ont regardé l’émission parlent encore. Merci Dominique. Pour ça et tout le reste.

Les témoignages :

Hugues Urvoy de Portzamparc (bassiste de 1976 à 1987) :
Début des années 70, à Rouen. Ici comme ailleurs, le rock ne semble se partager qu’entre progressif et heavy metal. Dominique est différent. On se croise à Mélodies Massacre, notre disquaire, et il parle des Stooges, Kinks, T Rex, Gene Vincent et de son groupe, Dogs.
La première fois que je le vois jouer, c’est chez lui. Il nous a invités, ma basse toute neuve et moi. Le son de sa Rickenbacker branchée sur son petit ampli Fender me hante encore. Son aisance féline, sa manière si peu conventionnelle, la magie de son jeu… la révélation immédiate d’une autre voie inespérée dont il serait le guide.
Dominique nous a tout appris, tout montré. Son exigence de visionnaire nous a amenés à nous transcender et a fait de nous les acteurs d’une aventure inconcevable sans lui. L’intensité de son charisme, son élégance étaient celles des vrais leaders, ceux qui nous emmènent plus haut, plus loin, ailleurs, et nous transforment profondément. Il nous faisait partager son instinct de l’évidence juste, son goût jusqu’à l’obsession de la perfection, son amitié, nous étions devenus un gang.
Aujourd’hui, cela fait 30 ans que le rock est ma passion, Dominique reste celui qui écrivait ces chansons si touchantes, capable aussi des fulgurances électriques les plus brûlantes, de l’urgence qui faisait battre les cœurs. “Live Fast Die Young”, il a si souvent écrit cette maxime pour des fans qui lui réclamaient un autographe. Keith Richards disait à propos de Brian Jones qu’il est des êtres que l’on ne s’attend pas à retrouver fumant très vieux la pipe sous leur véranda. Dominique était de ceux-là.

Max Lebreton (membre de la bande qui squattait chez le disquaire Mélodies Massacre, roadie occasionnel, régisseur bénévole puis “permanent guest”) :
J’ai rencontré Dominique la première fois à Mélodies Massacre en 1976. C’était l’époque où on n’allait pas la FNAC, on allait à Mélodies Massacre. Eric Tandy était là bien sûr et me vendait un Ducks Deluxe. C’était l’époque où l’on VENDAIT un disque. C’est un peu plus tard que j’avais appris que ce dandy impeccable était le leader des Dogs un groupe déjà légendaire et qui n’avait pourtant encore rien enregistré. A l’époque, on était tous des “Stooges”. Et puis, un par un, on a lâché l’affaire. Sauf lui. Lui, il est resté. Fidèle à ses convictions. Au rock’n’roll. Il était le rock’n’roll. Et nous, on pouvait avoir bonne conscience. On pouvait continuer nos pauvres carrières d’employés de banque puisqu’il était là. Garçon “bien élevé” et authentique, malgré les revers de fortune, les lâchages, la valse des modes musicales, je ne l’ai jamais senti aigri… question de savoir vivre. J’ai appris qu’il était parti, en plein set, aux USA, en faisant jusqu’au bout ce qu’il aimait, ce qu’il avait choisi très tôt. Il nous a beaucoup donné, j’espère lui avoir rendu un peu par mon amitié et ma fidélité. Eternaly Yours Dominique.

Jean-Marc Peltier (tour manager de 1978 à 1981) :
Le dîner de clôture du meeting n’en finit pas, il y a du bruit, ça parle toutes les langues mais moi, je suis ailleurs, désemparé. La veille, quand Eddy m’a appelé, j’ai tout de suite compris. En fait depuis peu, je savais que la catastrophe était imminente. Je l’avais déjà cru mort la nuit précédente et je n’en avais pas dormi. De retour à l’hôtel, tard, j’ai eu Christian sur le portable, puis finalement Catherine, sa sœur, déjà sur place…
1974, Le Havre. Chez Crazy Little Thing, en face de mon lycée, Philippe Garnier me prévient : “Ca va te plaire !” Ce concert des Dogs à l’UCJG avec Mimi, Zox et Paulo, quelle claque ! Eric, mon alter ego de chez Mélodies Massacre les avait annoncés, tout de blanc vêtu, avec son outrance naturelle et j’ai succombé instantanément. “Say Mama”, “LSD”, “Shaking machine”, “(I Don’t Want) Your Loving Anymore”… Quelle classe !
1975 : Rouen, la Fac… Mon studio nous sert souvent de repaire, voir de garçonnière pour Dominique, le week end, quand je rentre au Havre. Mais en fait, nous sommes le plus souvent chez Eric, à écouter jusqu’à pas d’heure, le pirate de Dylan et The Band au Royal Albert hall en 1966. “You’re A Liar” disait-il ; Dominique, lui, n’a jamais menti à son public.
1977 : Le Havre, Rock city. Avec Yves Guillemot et le père de Philippe, nous organisons tant de concerts : Eddie & the Hot Rods, Feelgood, Flamin’ Groovies, Talking Heads et les Ramones, Little Bob Story, bien sûr !
Suite à cela, la scène havraise débordera de talents et les Dogs joueront souvent, supportant tous ces petits groupes locaux tel que OX, Vinyl Street, Teenage riot et autres mini légendes. Dominique a toujours tout fait pour aider cette génération spontanée qu’il avait, en fait, engendrée, avec Bob.
1978 : Les premiers vinyles. Le succès commence à dépasser les frontières de la Normandie. La cave des parents de Dominique tremble tous les jours au son des répétitions. Allez, on y va ! Je deviens “route manager” et me mets à bosser pour monter les premières tournées, et ça marche !
1979 : “French Rockmania”. Nous sommes au Palais des Sports, Mimi a ses gants ! En coulisse, outre Jacky, notre coach chez Phonogram, pas encore acolyte d’Antoine de Caunes, ni membre du Dorothée club, il y a Johnny, Depardieu, Jane Birkin et Gainsbourg, rappel prévu avec Bijou oblige. Hugues, lors du cocktail, demandera au beau Serge : “Qu’est-ce que cela faisait de porter l’étoile jaune ?”. Patinoire d’Orléans, dans quel ordre allons nous jouer ? Elie et Jacno ne sont pas trop pressés, La Souris si, au point de prendre la scène d’assaut. Nous, on s’en fout un peu et finalement les Dogs clôtureront le festival en jouant à 5 heures du mat’, devant une salle à moitié vide : un triomphe.
Festival d’Orange, théâtre antique. Les Dogs montent sur scène, quelques cannettes pleuvent aussitôt ramassées par Dominique et Hughes pour retour à l’envoyeur ! King Kong trône sur la grosse caisse de Mimi et le set est grandiose !
Et nous tournons. Partout, Dogs fait salles combles : Annecy, Montélimar, Saumur (ou la sono est tellement pourrie qu’ils foutent tout le matos en l’air, au bout de cinq morceaux, j’en pleure encore), Grenoble, Moulins, Mont de Marsan, Marseille, Toulouse… Bien souvent, nous faisons 500 kilomètres par jour, mais l’ambiance est géniale.
1980 : réunion d’état major un soir à Rouen, à la veille d’une autre tournée après avoir dégusté une bonne quiche faite maison par Mme Laboubée. Dominique : “Au fait, demain, on emmène Gilles”. “Gilles !!??” Le chanteur des Olivensteins est un garçon adorable, mais en tournée, pour foutre le bazar, il n’a pas son pareil. En tant que garde chiourme du chenil, j’angoisse un peu. Les patrons d’hôtels furibards au petit déjeuner, ça va un temps ! Je me souviens comment nous nous sommes enfuis d’un village de la campagne toulousaine, près du Pied sous la sirène d’alarme et le Tocsin. Ceci dit, tous les soirs, en rappel, “Je suis fier…”, ça le valait bien.
Antoine de Dijon, commence à montrer son nez.C’était le genre de mec à faire l’école buissonnière, partir en stop à 400 bornes de chez lui, voir plus, pour venir voir ses idoles ! Finalement il montera dans le mini bus, puis sur scène et deviendra le nouveau quatrième Dogs.
1981 : Philips nous virent, faute de subsides, je décroche pour le maritime mais les Dogs continuent de plus belle. Durant 20 ans, on se retrouvera régulièrement pour évoquer tous ces souvenirs héroïques, toujours avec le même plaisir
11 octobre 2002 : retour à la maison. Le Havre Presse a donné l’info en première page ! “Papa, tu es triste pour ton copain ?” me demande ma fille “Triste ? !”
“Dominique, tu te souviens de ce canard de Besançon qui avait titré, le lendemain du concert : ‘ET DIEU RECONNAÎTRA LES CHIENS !’ Nous en rions encore, n’est-ce pas, Dominique ! Dominique… DOMINIQUE !?”

Little Bob :
J’ai rencontré Dominique Laboubée lors du premier Rock’n’Roll Christmas au Havre, en décembre 1975. Lui et les Dogs avaient déjà, malgré leur jeunesse ou grâce à elle, un look élégant et racé (comme leur musique !), entre Kinks et Groovies, mais avec le côté destroy des Dolls aussi. On était tous les deux de la même région. Notre musique de l’époque, et pendant toute la vie de la Story, était plus violente et speed, influencée par la musique rock black. Mais nos deux groupes ont toujours dégagé un maximum de high energy et sillonné la France et l’Europe comme très peu d’autres groupes français l’ont fait depuis.
Chaque sortie d’album des Dogs m’a rendu heureux. Je savais que Dominique était toujours pour défendre et s’éclater avec cette musique que tout le monde a déclaré moribonde tant de fois.
Invité à mon 20ème anniversaire de scène (en 1995 au Havre), il était venu et j’étais heureux de l’avoir à mes côtés. On s’est souvent rencontrés dans les festivals, concerts ou des fois on jammait ensemble. Maintenant il n’est plus là. La coupure est trop brutale. Le manque va faire, et fait déjà mal. Il aura toujours une place dans mes pensées.
Adieu petit frère, tu étais une LEGENDE du rock en France. J’espère seulement qu’un de tes émules que tu as un peu partout, va reprendre ton flambeau et défendre, avec la même classe que toi la musique qu’on aime tous les deux.

Charles (fan) :
La première fois que j’ai vu les Dogs c’était en 1974 ou 1975 en première partie d’Higelin au Havre. Ensuite je les ai peut-être vus 30 ou 40 fois. La dernière fois, c’était en novembre 2001, à l’occasion de l’enregistrement du live à Rouen avec une mémorable reprise du “I Wanna Be Your Dog” de Mr Pop. J’ai acheté tous leurs albums même si je pense que les trois premiers étaient vraiment superbe.
On a tout connu des émotions du rock avec eux, re-découvreurs de pépites, acharnés, toujours décalés. Viscéralement attachés à nos vingt ans.
On les a suivis de l’Exo 7, la salle Franklin… C’était parfois pathétique, suivant en cela le sillage des Flaming Groovies. Car les Dogs, c’était un putain de groupe de scène jamais hyper parfait mais gagnant toujours son public à l’arraché. Replié sur ses terres rouennaises ces dernières années, on sentait Dominique de plus en plus radical dans son attitude et pour nous qui n’avions pas eu le courage d’aller jusqu’au bout des rêves de nos vingt ans, il apparaissait comme un mec courageux qui avait su devenir un artiste avec une épaisseur de plus en plus flagrante. Quelqu’un qui laisse une œuvre derrière lui. Grâce au Dogs, on a côtoyé les Fleshtones, les Barracudas, les Real Kids. Il faut se souvenir de Dominique Laboubée comme du chef de file de tous les agités qui traînaient à Rouen à cette époque, les haricots sauteurs. Il avait des goûts sûrs dans ses amitiés musicales : les Olivensteins, les Gloires Locales et tous les obscurs qu’il a soutenus.
Voilà, deux ou trois mots en sortant de la Cathédrale de Rouen sur ce type qui avait un don indiscutable pour la mélodie depuis “Charlie Was A Good Boy” en 1977. Ce gars avait de la classe.

Antoine Lelandais (voisin, fan et ami) :
Je n’ai eu que rarement l’occasion de rencontrer des personnes telles que Dominique. Il personnifiait le rock français pardon, il le personnifie encore et pour longtemps), le vrai, sans concession commerciale, sans malentendu, ne sombrant jamais sans la facilité : c’est dire le pur et savant mélange d’une musique anglo-saxonne et d’une culture française.
Ce respect envers cette forme de musique lui a certainement coûté une reconnaissance médiatique plus en rapport avec son talent, mais lui permettait de vivre sa passion dignement. Ses concerts étaient remplis à craquer de connaisseurs qui le suivaient dans son évolution.
Mon premier contact avec Dominique fut sonore. Habitant en face de chez lui, j’entendais le groupe jouer dans la cave de sa maison (essentiellement la batterie et la basse, à dire vrai). Puis les souvenirs des départs en tournée (française et étrangère), avec les musiciens et des proches mettant le matos dans des camions.
Ont suivi les premiers contacts verbaux allant plus loin qu’un simple bonjour. Puis les conseils dans l’achat d’une première guitare, et finalement l’acquisition d’une de ses vieilles. Dominique m’avait accompagné moi et un petit groupe de copains jouant dans le garage, dans nos premiers pas musicaux, en nous donnant des conseils, en nous prêtant du matériel, en étant toujours disponible pour nous répondre. C’était un véritable régal de discuter musique (ou d’autres sujets d’ailleurs) avec lui, le soir, dans la rue, au hasard d’une rencontre. L’écouter parler de ses tournées, des séances d’enregistrement, etc.
On dit souvent que la vie est injuste, que ce ne sont pas ceux qui devraient qui partent ; c’est une phrase à la con inutile, malheureusement encore vérifiée. Mais le rock est coutumier du fait. Heureusement, la musique reste et avec elle l’image de
Dominique comme une personne bien, ouverte, honnête, et ayant toujours le sourire même dans les moments difficiles. Too much class.

Philippe “Jo de Krume” Loison (troisième bassiste des Dogs entre Hugues de Portzamparc et Christian Rosset ) :
Ma connexion avec Dominique s’est faite par Paul Péchenard et Zox, qui sont membres de mon propre groupe, The Outlines, depuis 1985. Dominique avait demandé à Zox de remplacer Hughes, Zox avait refusé et m’avait proposé la place, ce qui était amusant car je suis guitariste et n’avais jamais joué de basse. Jouer dans les Dogs fut une expérience inoubliable,
surtout de jouer les sidemen avec Paul derrière Dominique, alors que j’étais toujours sur le devant de la scène avec The Outlines, et de découvrir le succès démentiel du groupe à l’étranger. Quand Epic les a lâchés, on remplissait le Ritz de Stockholm de fans en délire ! La fin de cette tournée fut une mauvaise période pour Dominique, qui ne savait pas s’il devait se remettre en question, chanter en français, avec la poudre et son entourage rouennais pour mauvais conseillers. Il
a dormi chez moi en banlieue parisienne et nous avons réalisé ensemble des maquettes dans mon studio, mais il ne savait pas trop où aller musicalement et il vaut mieux oublier ses tentatives de l’époque qui n’ajoutent rien de sensé à son histoire. Il a finalement rompu sans élégance avec Paul et moi et s’est replié sur Rouen.
Je garde de lui le souvenir d’un garçon qui avait une classe instinctive, une rock star racée, un type qui sur scène faisait aimer le rock : ses apparitions scéniques ont sans doute donné la foi des dizaines de groupes en Europe. Je crains que la mort de Dominique n’enterre définitivement le rock français chanté en anglais dans ce pays. Dominique pouvait, comme Little Bob le peut encore, subsister sur l’écho médiatique de ses années sous contrat avec les majors, alors que la vague indé dont nous avons fait partie est définitivement passée aux oubliettes depuis la fin des New Rose et Danceteria (notre 4e album produit en 2000 n’a jamais été distribué). Les silhouettes du rock français sont de plus en plus vagues… et leur souvenir de plus en plus flou.

Bruno Perrin (ex-Gunners, dernier tourneur des Dogs) :
J’ai toujours été fan des DOGS, j’ai eu le plaisir de partager des scènes avec eux dans les années 90 quand je jouais dans les Gunners, et l’honneur de rencontrer Dominique par le biais de Laurent (guitare). Les Dogs m’ont demandé si ça m’intéresserait de travailler avec eux. Bien sûr, même si ça me faisait quand même un peu peur d’avoir sur les épaules un nom aussi mythique que celui-là. J’ai été sidéré d’apprendre le nombre de galères et d’arnaques auxquelles le groupe pu être confronté tout au long de sa carrière. Mais la foi dans le rock’n’roll était toujours intacte et tout le monde super motivé pour continuer à jouer (Les Dogs n’ont jamais attendu le “retour du rock’n’Roll” pour continuer à en faire !). Cette tournée s’est passée à merveille, en particulier pour les dates espagnoles dont le public était chaque fois comme ébloui (les yeux
écarquillés et le sourire béat) de se trouver devant une scène sur laquelle Dominique et les Dogs évoluaient à la perfection et avec une incroyable énergie. Sur toute cette tournée, un vrai public de connaisseurs et de fans était fidèle au poste.
La tournée aux States a été montée par Jeff Crane, guitariste des Ballbusters de Boston. En ce qui concerne Dominique, j’ai été surpris et ému par sa sincérité et son extrême gentillesse. Jamais sûr de lui, toujours vouloir faire mieux. Une politesse et une éducation exemplaire (d’où sûrement, son surnom de “Dandy du Rock’n’Roll”). Il n’aurait fait ni dit de mal de personne, ce qui est troublant quand on sait le nombre de sales plans et d’abandons dont il a été victime !
Sa vie, c’était les Dogs, qu’il n’a jamais voulu dissoudre. Presque 30 ans de Dogs, jusqu’à la fin.
Un groupe énorme vient de disparaître avec Dominique Laboubée. Quoi qu’il en soit, le mythe continuera.
Adieu Dominique, tu ne seras jamais plus “THE MOST FORGOTTEN FRENCH BOY”.

Jean Gamet (Hacienda Records, producteur des trois derniers Albums (“4 Of a Kind”, “A Different Kind”, “Short Fast and Tight”) :
J’ai tout d’abord une pensée pour le Groupe (Laurent, Bruno et Christian) et pour toute sa famille, car je crois que nous formions vraiment une famille, ce qui est assez rare dans ce métier pour être signalé. Pour moi, la mort de Dominique c’est un peu de cette musique qui m’a accompagnée jusqu’à ce jour, qui s’en va. Parler de son intégrité, de sa gentillesse, allant même jusqu’à la discrétion bien sûr, mais il y avait surtout entre nous ces deux notions qui restent essentielles dans ce métier : confiance et respect.
Il savait que je produirais son prochain album pour continuer The Story Of The Dogs. Eh bien cette histoire continuera dans notre cœur. A bientôt Dominique.

Christian & Guy (Dogs Connection. Association, support des Dogs et gestion du site Internet )
Fans inconditionnels et plus tout jeunes, des Dogs, nous rêvions depuis longtemps, sans jamais oser franchir le pas, d’une brève rencontre avec Dominique et ses Chiens. Armés de tout notre courage et fortement intimidés, nous avons pu concrétiser ce rêve lors d’un concert, il y a de cela 3 ans. Déjà comblés d’avoir pu les approcher, nous étions loin de nous douter que cette rencontre serait le début d’une collaboration et surtout d’une amitié.
La création de la Dogs Connection nous a permis de partager les dernières années de la vie du groupe, et de rendre à Dominique, une infime partie de tout ce qu’il nous a donné depuis 20 ans. A cette occasion, nous avons découvert, en plus de ce que tout fan savait déjà, un être humain discret, sensible et généreux.
Avec Dominique, le rock perd bien sûr un très grand musicien et l’un des derniers de cette génération à affirmer, loin des modes, que le rock’n’roll est toujours vivant. Cependant, cette idée que nous nous faisons de la vie et du rock’n’roll et qu’il incarnait si bien, ne disparaîtra pas avec lui. Il faisait partie de notre vie et nous ne sommes pas près de l’oublier. So
long, Dominique.

Carole Bigaud et René Simon (fans) :
Je suis née Rouen, et Dogs ont très vite représenté pour moi la référence en matière de Rock.
Dominique était la star de la ville et j’étais une fan.
Il y a 7 ans, j’ai quitté Rouen pour m’installer Paris et j’ai gardé mon affection pour le groupe et son leader.
Affection partagée par mon compagnon, lui-même fan et pote.
Nous attendions de les revoir sur scène Paris, et nous réjouissions de voir que les tournées s’enchaînaient.
Dominique est parti trop tôt, il nous manquera… We’ll never forget.

Tuno (bassiste de SSH!, directeur artistique du festival Rockamagus) :
A Rouen, tout le monde connaissait Dominique sans le connaître, mais c’était un personnage que l’on croisait dans la rue, et qui ne passait pas inaperçu avec son look très rock’n’roll (lunettes noires, jean cigarette et bottes de cuir pointues). On pouvait alors penser qu’il aimait se montrer dans sa marginalité. Une sorte de vanité. Ce que j’ai cru pendant de longues années. Mais il était tout simplement dans son monde. Celui du rock’n’roll pur et dur. Et puis, moi-même musicien et responsable d’un festival rock, je l’ai rencontré. Nous avons passé deux heures la terrasse d’un café, et j’ai découvert un homme sensible, intelligent, éclairé, humble, léger, souriant, ouvert… loin de mes préjugés.
Je suis très triste qu’il soit parti si tôt, mais heureux que ce soit sur scène que la maladie l’ait emporté. Aux States de surcroît.

Guillaume et Magali Huberson (fans) :
Je tire mon chapeau a ce groupe qui a beaucoup influencé mes tendances musicales même si depuis 10 ans je ne suivais plus du tout ce qu’il faisait. Dans ma tête, les Dogs resteront toujours un des groupes rock français les meilleurs, que ce soit sur disque ou en concert.
Je m’appelle Magali, j ai 31 ans et les Dogs ont beaucoup compté pour moi. Je regrette que ce soit la fin. Je ne connais pas les 3 derniers albums mais ce groupe reste pour moi un des meilleurs.

Gilles Perrotte (fan) :
Ah bien sûr, si Eddy Mitchell était décédé ce maudit 9 octobre 2002, sans doute aurions-nous eu droit a des titres comme “LE ROCK EST EN DEUIL” dans tous les journaux, sur 3 colonnes à la une ! Quelle dérision… ! Je ne souhaite évidemment aucun mal à Claude Moine, surtout pas une agonie de 10 jours, mais l’indifférence quasi générale (merci tout de même a Yves Bigot dans Liberation) qui a caractérisé la disparition de Dominique m’a profondément désolé.
A l’instar des Ramones, les Dogs auront sorti 4 premiers albums incontournables et indispensables pour bon nombre d’entre nous. Pleins de classe, de rage, de poésie, de références, de guitares et d’esprit…
J’ai eu la chance de revoir les Dogs 3 fois ces 2 dernières années : j’avais oublie ce qu’étaient ces décharges d’adrénaline a l’écoute des intros de “A Different Me” ou “Too Much Class For The Neighbourhood”… J’ai pris plus de plaisir en un seul concert qu’en 7 ou 8 Routes du Rock à Saint-Malo… Je le savais mais certaines piqûres de rappel sont bien souvent utiles : le plaisir n’a rien à voir avec la mode ! “Sing A song For Me When I Die” : je ne fais que ca Dominique depuis ton
départ, trop brutal. 45 ans, c’est trop jeune ! Tu n’avais pas changé d’un iota. Dominique Laboubée fut le meilleur auteur-compositeur, chanteur-guitariste de l’hexagone dans son domaine, mais trop puriste il préférera l’anglais au français et se coupera du grand public, se privera de l’hommage posthume de PPDA. Alors que les Dogs pouvaient espérer surfer sur la vague du “rock revival” et se débarrasser de cette (parfois vraie mais ici fausse) image d’has-been qui colle malheureusement à tout groupe qui ose durer plus de 10 ans, les voilà écrasés au coin d’une rue de Boston par une Chevrolet noire, guidée par ce fameux destin qui engendre la souffrance mais crée également les légendes… Il faut se consoler et savoir Dominique heureux là-haut, avec les plus grands, reprenant "Sugar Shaker" avec Lee Brilleaux au Paradis du Rock, le vrai !... Les dinosaures et autres bouffons du "rock" peuvent bien aller mourir au cimetière des beaufs et des éléphants…

Sylvain Coumoul (fan et journaliste) :
...Le mardi 22 octobre 2002, en la cathédrale de Monet bondée comme le Gibus en plus grand, “Secrets” a retenti. S’avançant vers le cercueil près duquel le prêtre se livrait au rite de l’encens, un type sapé tel le Captain Beefheart a fondu en larmes. Et moi donc. Oui, le Gibus, vers 1990, j’y étais, premier concert, presque dix ans de fantasmes et je le voyais enfin en vrai. Pourtant à moins d’un mètre, Dominique continuait de me sembler irréel : il articulait le you and me de “Secrets” et je n’entendais rien que la sono pourrie, les amplis saturés, la voix devenue simple écho dans le paysage, fragment arc-en-ciel fugacement apparu à la surface d’une flaque d’huile. Mais il y avait le secret. Je vous le donne, je le tiens de lui : 1) Faire comme si vous réfléchissiez avant de plaquer un accord pourtant préparé depuis l’éternité. 2) Poser sur le monde l’un de ces regards obliques que nous impose l’architecture de Venise. Oblique comme Dylan caché dans l’angle, et qui observe. Avec en plus chez Laboubée une douceur telle qu’à cette acuité revendiquée, surjouée, mise en scène, bref à ce dandysme se mêlait la pudeur d’un homme trop intelligent pour oublier d’être gentil.
En 1994, j’emménage à Rouen, et ça n’a pas loupé : le jour même il était là, rue de la République, dans l’encadrement de la porte ouverte d’un bar. Ses lunettes noires dirigées vers le ciel normand traversé de reflets gris-bleus après la pluie scrutaient le halo plus clair, en direction du Havre, qui signale la présence de la mer. Il fumait comme toujours je le verrais fumer par la suite : les volutes de la cigarette qui s’étiraient longuement depuis la main immobile posée sur le jean noir serrant ses jambes de cigogne. Pas un concert rouennais sans qu’il ne fût présent, montant sur scène à l’occasion ; un soir qu’un petit groupe étudiant reprenait une version rock de “Tainted love”, beaucoup plus félin que canin, il avait gagné son côté préféré, le gauche, et livré quelques accords beaux comme le halo en direction du Havre, l’air toujours de penser chacun, l’air en même temps de ne pas y toucher. En 1997 enfin, profitant d’un exercice pour mes études de journalisme, je sollicitai un entretien. Conscient que ses propos ne finiraient jamais dans un magazine, il accepta pourtant avec gentillesse, comme un service à rendre. En termes professionnels, ce fut la plus mauvaise interview de ma “carrière”. Tentais-je avec maladresse de le faire parler des Buzzcocks qu’il ne me fallait rien espérer de plus qu’un sourire : “Ah oui, bonnes chansons les Buzzcocks !”. J’ai d’abord cru que Dominique Laboubée n’avait rien à dire ; j’ai compris plus tard qu’il n’avait rien à vendre… Je lui avais prêté “Juvenilia” des Verlaines, qu’il ne connaissait pas ; nous devions nous revoir afin qu’il me le rende. La seconde rencontre eut lieu chez sa maman à Mont Saint-Aignan, sur les hauteurs de Rouen, où une rupture l’avait ramené pour quelques semaines, le temps de se refaire et repartir à l’assaut de sa ville. Avant de grimper vers la belle demeure, je le revois stopper en double-file face à la gare où il était venu me chercher, et, courant pour ne pas me faire attendre, ramener deux canettes d’Heineken que le temps nuageux ne justifiait pas. Mais c’était oublier sa délicatesse : les deux canettes étaient pour lui. J’ai vu le sous-sol d’où la légende était partie. J’ai surtout vu, à l’étage, sa chambre inchangée depuis l’adolescence, avec, pendu au mur, un bout de collier à demi arraché. “C’est celui de Johnny Thunders” a-t-il frissonné, “enfin, la moitié, car lorsque Thunders l’a balancé dans la fosse, à la fin d’un concert, j’en ai attrapé un bout, un autre gars, l’autre bout, j’ai tiré, il a tiré, et voilà. C’est un peu bête.” Ce jour-là je suis reparti avec le 45 tours dédicacé de “M.A.U.R.E.E.N.” et bien entendu, sans “Juvenilia”. Je ne m’étais pas senti le cœur de le lui reprendre car vous comprenez, “Bonnes chansons, les Verlaines !”.
C’est tout. C’est peu. Cinq ans, je suis resté absent de Rouen. Et puis il y a quelques semaines, je l’ai croisé, cigarette aux lèvres, la fumée passant sous les dark shades, chez un libraire du centre ville qui n’a même pas songé à le lui reprocher. Il tournait un peu sur lui-même, l’air de chercher sa monnaie et la caisse où payer. Aérien. Je suis resté noué. Il ne m’avait pas vu. Il me semblait encore plus amaigri. Ma vieille timidité revenue, je ne lui ai pas pris le bras, je ne lui ai pas dit merci pour ce que je lui devais. Aujourd’hui je pleure Dominique. Rideau. Secrets.

Pascale “Louise” Féron (amie et chanteuse. Dominique a composé les chansons de son premier album produit par John Cale et paru en 1991, parmi lesquelles le tube “Tombé Sous Le Charme”) :
Tu étais de ces êtres dont la soif de pureté ne peut que se heurter de manière douloureuse à la réalité de ce monde de petits arrangements et de trahisons intimes. Ta pureté te conférait une sorte d’absence, celle qui caractérise les êtres qui ne sont ni tout à fait d’ici, ni tout à fait d’ailleurs. Ton passage fut celui d’une étoile filante, ton rêve d’absolu, une tension vers l’inaccessible. Ton amour même était de ces amours un peu désincarnés où le corps s’efface. Tu voulais que le temps s’y arrête, tu nous voulais à l’abri des faiblesses et des fléchissements de la chair, à l’abri de l’usure. La musique fut ta tour d’ivoire, ton Graal, ton tourment, ton amante religieuse. En la mêlant à mes mots, tu m’as offert la plus intime des étreintes… Tu ne voulais vivre qu’au cœur des fulgurances et ce fut ton souhait de t’y consumer. Aujourd’hui, je laisse ta lumière descendre très doucement en moi. Je sais que tu veilles… Love shadow, you’ll be walking in my dreams.

RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY
Merci à Catherine Laboubée, à tous les intervenants et à Roger Legrand.